Filiation et Génétique

Le droit de la filiation et la jurisprudence atteignent des sommets d’absurdité. La filiation est-elle une affaire de traçabilité ? Les méthodes modernes d’élevage sont désormais applicables à l’homme.

La “traçabilité”, idéal juridique en matière de filiation ?

L’évolution du droit en ce qui concerne sa relation avec la génétique est extrêmement préoccupante.

Le seul élément qui laisse un peu d’espoir est que l’importance que le droit français accorde à la génétique est à géométrie variable, comme le dit Geneviève Delaisi de Parseval dans son livre intitulé « La part du père ».

Cela permet encore de penser que la raison va prévaloir et qu’il va être possible d’éviter que le concept de « traçabilité », qui a été mis en œuvre dans l’élevage moderne soit dorénavant appliqué aux êtres humains.

Les questions posées par cette évolution dramatique du droit sont nombreuses et fondamentales.

A ce sujet, les questions posées par Geneviève Delaisi de Parseval dans le livre précité introduisent parfaitement le débat (pages 14 à 18 de la Préface) :

Les critères de désignation du père – la réponse à la question « Qui est le père ? » – ont oscillé en Occident entre quatre pôles

  1. la volonté (selon le droit romain) ;
  2. le mariage ou la reconnaissance anténatale qui verrouillent la présomption de paternité ;
  3. la preuve génétique fondée sur l’expertise sanguine ;
  4. la possession d’état).

Pour illustrer la montée en puissance de l’un de ces pôles, j’ai proposé une analyse de l’ « affaire Montand » comme paradigme de ce que j’ai appelé le pôle 3, marqueur, au sens propre du terme, de la preuve biologique et génétique de la paternité. Le siècle commençant me semble aller encore plus loin dans ce sens, en accordant une importance croissante et parfois déraisonnable à ce pôle. Il existe désormais de nombreuses affaires de contestation de filiation paternelle, d’autant que le recours à l’expertise sanguine est ordonné larga manu par les tribunaux.

La fréquentation des juristes permet d’apprendre à distinguer et à comprendre les évolutions de la doctrine juridique ainsi que les éléments significatifs de la jurisprudence dans ce domaine.

Le professeur Frédérique Granet a ainsi montré le revirement important qu’a opéré la Cour de Cassation en matière de filiation paternelle. De fait, dans un arrêt de principe du 28 mars 2000, la première chambre civile de la cour de Cassation a décidé, au visa des articles 339 et 311-12 du code civil et de l’article 146 du nouveau code de procédure civile, que « l’expertise est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder ». Cette solution sera ultérieurement reprise par la Cour, dans une autre action, où il s’agira une fois encore de contester un lien de filiation paternelle. Dans tous ces arrêts, la Cour de cassation proclame un droit à l’expertise biologique, incluant aussi l’expertise par l’ADN.

En écho à l’affaire Montand – et bien que moins célèbre – une affaire récente, dans laquelle j’ai été sollicitée à titre d’expert – me semble souligner la montée en force de ce pôle biologique dans la définition de la paternité. (…) un couple de concubins a un enfant au bout de cinq ans de vie commune ; le petit garçon est désiré par les deux parents, reconnu en premier lieu par le père, dont il a pris le nom, puis par la mère – les deux parents partageant l’autorité parentale. Les parents se séparent alors que l’enfant est âgé de deux ans, et le juge fixe la résidence habituelle du petit garçon chez son père, la mère, qui est dépressive et a connu des épisodes alcooliques, bénéficiant d’un droit de visite et d’hébergement. Quelques mois plus tard, la mère saisit la justice, déclarant que Monsieur D. n’est pas le père biologique de l’enfant, arguant du fait que, durant la période de conception, elle a eu un amant, un certain Pierre, homme marié mais qui ne veut, au demeurant, rien savoir de cette paternité supposée. Elle fait alors une demande d’anéantissement (selon les termes juridiques) de la paternité de Monsieur D., qui élève son fils depuis sa naissance, ainsi qu’une demande de changement de nom de l’enfant afin qu’il porte le sien – ceci sans fournir aucune « paternité de remplacement ». Le père gagne en première instance, mais la mère fait appel, en riposte, déclare-t-elle, au fait « qu’on lui avait pris son enfant ».

La Cour d’Appel a statué en sommant le père de « faire des examens biologiques, y compris le polymorphisme de l’ADN, qui permettront de déterminer si Monsieur D. est susceptible ou non d’être le père du petit garçon ». Dans l’attente, la Cour sursoit à statuer sur le fond jusqu’à l’issue du litige relatif à la contestation de paternité. L’administrateur nommé ad hoc pour défendre les intérêts de l’enfant a renchéri sur le thème de la preuve biologique de la paternité : « il est de l’intérêt de l’enfant que soit établie sa véritable filiation », même sans qu’une autre filiation paternelle soit établie, « toute ambigüité quant à la paternité de Monsieur D. serait pour l’enfant encore plus perturbante » (sic). La mère a tenté – et pour l’instant réussi – de s’appuyer sur l’expertise sanguine (ou sur son refus éventuel par Monsieur D.) pour circonvenir la justice, avoir l’enfant pour elle seule et évincer le père.

Le fait que Monsieur D. soit ou non le géniteur biologique ne me paraît pourtant pas être, dans cette histoire particulière, d’une importance essentielle eu égard à l’intérêt réel de l’enfant. Monsieur D. est, en effet, reconnu comme père sur le plan affectif aussi bien que juridique et social, et toutes les expertises médico-psychologiques ont, en outre, attesté de sa qualité de « bon père ». Néanmoins, les spécialistes soulignent qu’il existe un risque que la mère obtienne gain de cause, alors que Monsieur D. serait en droit, me semble-t-il – ainsi d’ailleurs que, plus tard, son fils –, de reprocher à son ex-compagne son grave mensonge sur les circonstances de la conception (si celui-ci est attesté). Il est toutefois intéressant de se demander pourquoi deux jugements consécutifs semblent vouloir fonder la paternité de Monsieur D. sur la seule biologie, au mépris de la réalité quotidienne de la relation père-fils.

(…) Il convient, sur ce point, de rappeler que l’importance que le droit français accorde à la génétique est à géométrie variable. Dans les cas d’assistance médicale à la procréation avec sperme de donneur, la loi de bioéthique, votée en 1994, interdit de faire état d’un quelconque lien entre le donneur de sperme et l’enfant ; c’est pourquoi, par sécurité, le don de sperme est anonyme.

Le père social de l’enfant ainsi conçu est donc son seul père, même si, par définition, il ne peut en être le géniteur – la loi n’hésitant pas dans ce cas à faire un faux légal ! Mais un autre exemple donne la mesure des contradictions de la loi française en matière de paternité : c’est celui de l’accouchement dit « sous x ». Dans ce cas, une femme, même mariée, peut en effet accoucher de manière anonyme privant ainsi son mari de paternité ; et ce dernier, même s’il est courant de la naissance du bébé, même s’il est à la fois le géniteur et le mari de la mère, n’a aucune possibilité de faire valoir un quelconque droit paternel à partir du moment où son épouse a décidé, comme la loi le lui permet, d’accoucher sans livrer son nom. Un pouvoir absolu est ici conféré à la mère, qui a la possibilité théorique d’oblitérer totalement la paternité de son mari ou compagnon (…).

Comme je le soulignais en 1998 : « L’étude de jugements récents montre que, dans la société contemporaine, tout se passe comme si les choses étaient devenues floues quand il s’agissait de dire qui est le « vrai père », comme si la paternité, à chaque transaction ou jugement, était à réinventer. Nous semblons donc naviguer dans une zone frontière, où chacun entend passer, à sa convenance, et selon ses intérêts du moment, tantôt du côté de l’ordre biologique (naturel), tantôt du côté du juridique (fiction), tantôt encore du côté du socio-affectif ». La confusion me paraît de nos jours encore plus grande, non seulement en ce qui concerne les affaires de procréations artificielles avec dons anonymes, où la filiation des pères est, de fait, particulièrement fragile, mais également dans de nombreux cas de contestation de paternité « ordinaire », notamment lorsque les pères ne sont pas mariés avec la mère – le pater is est conservant tout de même ici une fonction protectrice.

Les contradictions de la loi française sont donc patentes en ce domaine et l’on note même une tendance de notre droit à conférer aux palinodies de la vie sentimentale de la mère le pouvoir de débouter un père de sa paternité et de priver un enfant de sa filiation paternelle. Dans ce contexte également est apparu, depuis peu, un nouveau phénomène de société : les « affaires d’allégations d’abus sexuels ». Ces allégations sont hélas souvent fondées, mais il arrive parfois qu’elles soient mensongères et qu’elles servent alors d’armes, utilisées avec succès par des mères – qu’elles soient d’ailleurs de bonne ou de mauvaise foi – au cours de divorces conflictuels, afin de tenter de discréditer voire d’éliminer totalement les pères.

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